vendredi 23 avril 2021

La Pointe Percée, sans foi ni loi

« Un roi sans divertissement est un homme plein de misères »
Blaise Pascal, Pensées

En application de l’article 4 du décret n°2020-1310 prescrivant les mesures nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19, je me rends vendredi 23 avril de l'an 2021 dans un lieu de culte situé en Haute-Savoie, mon département. Parvenu devant le fronton de la chapelle de la Duche, sise au Grand-Bornand entre deux télésièges au chômage, je découvre qu'aucun office n'y est célébré aujourd'hui. Ni dans les semaines à venir. Aïe ! Comment justifier cette consommation de gazole ? Si sainte Greta-aux-Tresses l'apprend, sûr qu’elle invoquera Odin dans un tweet pour me barrer l'accès au Valhalla. Dépité, je m'en retourne à ma Clio et remarque mes skis, mes chaussures Dynafit, mon sac à dos stockés sur les sièges rabattus ; vestiges d'une saison de rando interrompue par les restrictions gouvernementales. Y a même un piolet, une petite corde et un baudrier où pendent quatre vieux coinceurs de fabrication ukrainienne. Cette petite quincaillerie, pour quoi faire ? Mon regard remonte la massive face ouest de la Pointe Percée, toute bleue dans l’ombre matinale.

Une heure et demie d’approche à peaux de phoque. Je mets les skis en travers du sac et chausse les crampons. La pente inférieure est moche et croûtée. « Ça s’arrangera plus haut », me dis-je. Dans la pente médiane, quelques minutes plus tard : encore plus moche et plus croûtée. On dirait qu’un éleveur de la vallée y a monté son tracteur, je ne sais comment (un pari pour épater son épouse, ses collègues ?), et a tout labouré méticuleusement. Pas un mètre de neige propre. « Ça s’arrangera plus haut », me dis-je. Plus haut, c’est plus raide, la croûte cassante laisse place à une surface bétonnée. Sur les pointes avant, grattonnant le calcaire sous-jacent, les pas en traversée au-dessus d’une barre rocheuse me font regretter l’absence d’un deuxième piolet dans la main gauche. « Tout va bien, me dis-je. C’est la voie normale de la Pointe Percée que je grimpe l’été en short et baskets de trail. »

Ascension par la voie Chauchefoin, qui correspond peu ou prou à la voie normale estivale de la Pointe Percée.

dimanche 28 mars 2021

Le mur de Tardevant

 « Une fois qu'on y est, on y est bien. »
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

La face nord-est de Tardevant, massif des Aravis. Première descente à ski : Daniel Chauchefoin et Pierre Tardivel le 17 avril 1982. Photo Jérémy Janody

Le nez dans la pente. Mes crampons dans la semoule cherchent des appuis francs. Sous mes pointes, 300 mètres de toboggan inclinés à 50-55 degrés plongent sur un abîme rocheux. L'ascension devient inconfortable, il est temps de sortir de cette face nord-est de Tardevant. « Courte mais monstre raide ! », disent les skieurs des Aravis  ou d'ailleurs   qui s'y sont essayés. Je ne les contredis pas. Je trouve un point faible dans la corniche, y enfourne les manches de mes deux piolets et me hisse sur le plat de l'arête sommitale.

vendredi 19 février 2021

Réalité alternative dans la face sud de la Dent du Géant

Vendredi 19 février 2021, 9 heures environ. Ligne 8, rame bondée. Suis coincé entre une dame de 150 kilos, smartphone à l'oreille, hurlant dans une langue inconnue et un chauve épais comme un cintre qui parle tout seul à son kit mains libres. Les sifflements du vieux métro couvrent à peine leurs aboiements. Richelieu-Drouot, Opéra, Madeleine, Concorde, Invalides. Là, je me faufile hors du wagon, dépasse une caravane de femmes voilées avec poussettes sur le quai, enjambe une marche sur deux dans l'escalier et attrape l'infâme ligne 13 où « un incident s'est produit, nous vous prions de nous excuser pour la gêne occasionnée », m'apprend la voix off. L'incident n'empêche pas la rame de filer vers le sud de Paris et de se vider à Montparnasse. L'actualité défile sur mon Samsung ; rien d'inhabituel. Un clandestin soudanais a égorgé le responsable du centre qui l'accueillait. Un type habitué des plateaux télés, qualifié « d'intellectuel de gauche », est accusé de viol par son beau-fils. 

À l'air libre, j'ignore un Roms aux pieds nus qui joue mal son rôle de réfugié syrien et un autochtone affalé sur le trottoir en quête de pièces pour s'acheter des tickets à gratter. Parvenu dans le luxueux siège social de mon employeur, le triple bip du portique de sécurité m'indique qu'il faut mettre à jour mon badge. Ceci fait, je monte dans l'ascenseur précédé d'une très belle brune au teint frais, lui dit « bonjour » et détourne immédiatement les yeux afin que mon regard ne soit pas assimilé à celui d'un redoutable homme blanc hétérosexuel. Cinquième étage. Une machine me sert un mauvais ristretto, je salue une collègue souriante dans le couloir menant à mon bureau surchauffé à 25 °C contre ma volonté (un technicien doit passer dans l'après-midi).

Noire et Blanche de Peuterey, mont Blanc de Courmayeur, mont Blanc.

mardi 16 février 2021

Pointe Percée, face ouest

Patrie du reblochon, du gypaète barbu réintroduit et de quelques-uns des skieurs-alpinistes les plus accomplis  Daniel Chauchefoin et Pierre Tardivel en tête , la chaîne des Aravis culmine à 2750 mètres du haut de la Pointe Percée. La tectonique des plaques et l'érosion ont voulu que cette montagne de calcaire présente la plus belle architecture du massif. Séduit autant que moi par la Pointe Percée, fortement enneigée en ce mois de février de l'ère covidienne, Ross Hewitt et Tom Grant ont choisi de quitter, une journée, leur chère vallée de Chamonix pour m'accompagner dans ma tentative à ski. 
J'ai tiré la langue pour suivre mes camarades, dont le métier de guide leur garantit une condition physique enviable. Parvenues à la croix sommitale au prix d'une dispersion excessive de mes forces durant la longue ascension depuis l'espace nordique du Grand-Bornand, mes spatules ont cheminé avec celles de Tom et Ross dans la face ouest où nous avons skié de la neige fraîche en quantité insuffisante pour couvrir quelques sections de croûte gelée et brunie par le sable du Sahara tombé du ciel au début du mois. Des conditions de glisse moyennes, mais un vœu exaucé. Nous avons skié la Pointe Percée.

Nous accédons au pied de la Pointe Percée après une longue approche.

mercredi 27 mai 2015

Mont Blanc, face ouest, voie Saudan

Nous avons choisi la voie ouverte par Sylvain Saudan en juin 1973 dans le versant ouest du mont Blanc, supposant que cette ligne nous permettrait de descendre l'intégralité de la face sans utiliser la corde ni gratter les rochers skis aux pieds. Bonne intuition. Mille mètres de pur ski de pente raide partant directement du Toit de l'Europe !
Plan large du parcours effectué dans le versant Miage du mont Blanc. Photo DR
En Europe, un passionné de ski sauvage trouvera difficilement défi plus intéressant que la face ouest du mont Blanc. Attiré par les proportions himalayennes de ce versant reculé du Géant franco-italien, j'avais gravi l'éperon de la Tournette en août 2009. Une voie presque oubliée, ouverte au XIXe siècle, peu difficile techniquement mais d'une certaine ampleur. Depuis cette ascension solitaire, je fantasmais une descente à ski gargantuesque au cœur de l'austère paroi érigée aux confins du Val d'Aoste et de la Haute-Savoie.

dimanche 10 mai 2015

vendredi 24 avril 2015

Aiguille d'Argentière, couloir Barbey

Poumons encombrés, motivation en berne, je suis monté à l'aiguille d'Argentière par la voie normale afin d'améliorer ma condition physique de mésange asthmatique. Sommet atteint à 13 heures, dans les temps pour skier le couloir Barbey, versant suisse (tracé ci-dessus).

samedi 18 avril 2015

Mauvais Plan

Souhaitant goûter la neige fraîche tombée sans vent violent (cas rare cette saison), je fais équipe avec Jean et Martin. Nous profitons d'une éclaircie, en début d'après-midi, pour nous lancer dans la face nord du col du Plan. Rappel indispensable ce jour pour passer le mur de glace au sommet.

mardi 14 avril 2015

Aiguille du Goûter, couloir ouest

Aiguille du Goûter, versant ouest. Durant l'ascension, j'ai quitté l'axe du couloir pour basculer dans la face après qu'une pierre fusante m'ait heurté la cuisse droite. Pas de dégât. La neige était de médiocre qualité, majoritairement gelée, croûtée et irrégulière. L'enneigement était très faible tout en haut, de ma position je ne voyais pas la possibilité de skier depuis le sommet. Déçu, démotivé, je me suis arrêté une centaine de mètres sous le nouveau refuge du Goûter.

mercredi 18 mars 2015

Jallouvre, triangle ouest

En ce chaud mois de mars, où il faut composer avec les maigres réserves de neige d'un hiver express, je poursuis ma petite collection des plus belles descentes modérément inclinées des Bauges et des Aravis. Après le couloir nord du Trélod, la face sud-ouest du Charvin, voici le triangle ouest du Jallouvre.

mardi 10 mars 2015

Charvin, face sud-ouest

Le Charvin, montagne bucolique appartenant à la chaîne des Aravis. Je n'ai jamais osé tenter la face sud-ouest quand la neige est poudreuse, craignant les coulées déclenchées par le soleil. Les cycles de dégel et regel de cette semaine "printanière" garantissaient une sécurité optimale. En prenant la peine de remonter la face, j'ai pu choisir la ligne la plus directe. Si j'étais monté par la voie normale pour skier à vue, j'aurais sans doute traversé en rive gauche (à droite sur la photo), mieux enneigée, comme l'ont fait les quelques skieurs descendant la sud-ouest ce jour.

vendredi 6 mars 2015

Trélod, couloir nord

Le couloir nord du Trélod, l'un des rares classiques du petit massif préalpin des Bauges. Presque 500 mètres de long, pas plus de 40° d'inclinaison m'a-t-il semblé. Première trace signée Pierre Tardivel en 1984.

vendredi 23 janvier 2015

Mon père, son fils, notre mont Blanc

Mon père Dominique et moi à 4810 mètres, au sommet du mont Blanc, en septembre 2007.
J'avais 12 ans quand mon père Dominique m'a conduit au sommet de la Barre des Ecrins, à 4102 mètres d'altitude. Notre objectif initial était plus modeste. Mais ce jour-là, mon père, qui savait ma fascination pour cette montagne d'une beauté hors norme, a cru en mes capacités à le seconder sur l'arête vertigineuse de la plus haute cime de l'Oisans.
Le dôme des Écrins était notre objectif. Mon père m'a guidé jusqu'au sommet de la Barre. Mon premier 4000. J'avais 12 ans.
Une quinzaine d'années plus tard, mon tour était venu de mener la cordée. Nous étions tous deux sur les flancs du mont Blanc, à 4400 mètres. Souffrant du mal aigu des montagnes, économisant ses mots, mon père ne semblait plus en mesure de poursuivre l'ascension. La raison aurait voulu que nous descendions immédiatement. La décision de renoncer lui appartenait, je ne pouvais pas le priver de son unique et probable dernière chance de parvenir sur le Toit de l'Europe occidentale.
Nous avons continué vers le haut, accordant nos pas lentement. Puisant dans ses ressources physiques et mentales, mon père n'a jamais abandonné, progressant avec panache sur l'interminable arête des Bosses, aux bords de la France et de l'Italie. Ensemble, nous avons atteint l'altitude mythique de 4810 mètres. Ensemble, nous avons foulé la cime du mont Blanc. Nous en sommes redescendus sans encombre.
En descendant du mont Blanc, l'arête des Bosses est derrière nous. Mon père heureux d'avoir atteint le sommet après avoir souffert du mal des montagnes.
Dimanche dernier, parcourant les montagnes sublimant le lac d'Annecy qu'il aimait passionnément, mon père Dominique s'est couché dans la belle neige de janvier. Il n'a pas pu se relever. Merci papa, merci infiniment de m'avoir ouvert les portes de la haute montagne, royaume de neige, de roc et de glace.
Escalade tranquille "à domicile", au Roc des Bœufs, dans les Bauges.
Traversée des Trois Cols, dans le massif du Mont-Blanc.
Montée à la Petite Chaurionde, dominant le lac d'Annecy, en janvier 2014. Un an plus tard, mon père devait succomber à une crise cardiaque dans cette même pente. Merci à Sébastien et aux deux autres skieurs de randonnée qui ont tenté de le ranimer après avoir alerté les secours. Merci aux hommes du PGHM d'Annecy et au médecin qui sont arrivés sur place le plus rapidement possible.