Vendredi 19 février 2021, 9 heures environ. Ligne 8, rame bondée. Suis coincé entre une dame de 150 kilos, smartphone à l'oreille, hurlant dans une langue inconnue et un chauve épais comme un cintre qui parle tout seul à son kit mains libres. Les sifflements du vieux métro couvrent à peine leurs aboiements. Richelieu-Drouot, Opéra, Madeleine, Concorde, Invalides. Là, je me faufile hors du wagon, dépasse une caravane de femmes voilées avec poussettes sur le quai, enjambe une marche sur deux dans l'escalier et attrape l'infâme ligne 13 où « un incident s'est produit, nous vous prions de nous excuser pour la gêne occasionnée », m'apprend la voix off. L'incident n'empêche pas la rame de filer vers le sud de Paris et de se vider à Montparnasse. L'actualité défile sur mon Samsung ; rien d'inhabituel. Un clandestin soudanais a égorgé le responsable du centre qui l'accueillait. Un type habitué des plateaux télés, qualifié « d'intellectuel de gauche », est accusé de viol par son beau-fils.
À l'air libre, j'ignore un Roms aux pieds nus qui joue mal son rôle de réfugié syrien et un autochtone affalé sur le trottoir en quête de pièces pour s'acheter des tickets à gratter. Parvenu dans le luxueux siège social de mon employeur, le triple bip du portique de sécurité m'indique qu'il faut mettre à jour mon badge. Ceci fait, je monte dans l'ascenseur précédé d'une très belle brune au teint frais, lui dit « bonjour » et détourne immédiatement les yeux afin que mon regard ne soit pas assimilé à celui d'un redoutable homme blanc hétérosexuel. Cinquième étage. Une machine me sert un mauvais ristretto, je salue une collègue souriante dans le couloir menant à mon bureau surchauffé à 25 °C contre ma volonté (un technicien doit passer dans l'après-midi).
Noire et Blanche de Peuterey, mont Blanc de Courmayeur, mont Blanc. |