En application de l’article 4 du décret n°2020-1310 prescrivant les mesures nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19, je me rends vendredi 23 avril de l'an 2021 dans un lieu de culte situé en Haute-Savoie, mon département. Parvenu devant le fronton de la chapelle de la Duche, sise au Grand-Bornand entre deux télésièges au chômage, je découvre qu'aucun office n'y est célébré aujourd'hui. Ni dans les semaines à venir. Aïe ! Comment justifier cette consommation de gazole ? Si sainte Greta-aux-Tresses l'apprend, sûr qu’elle invoquera Odin dans un tweet pour me barrer l'accès au Valhalla. Dépité, je m'en retourne à ma Clio et remarque mes skis, mes chaussures Dynafit, mon sac à dos stockés sur les sièges rabattus ; vestiges d'une saison de rando interrompue par les restrictions gouvernementales. Y a même un piolet, une petite corde et un baudrier où pendent quatre vieux coinceurs de fabrication ukrainienne. Cette petite quincaillerie, pour quoi faire ? Mon regard remonte la massive face ouest de la Pointe Percée, toute bleue dans l’ombre matinale.
Une heure et demie d’approche à peaux de phoque. Je mets les skis en travers du sac et chausse les crampons. La pente inférieure est moche et croûtée. « Ça s’arrangera plus haut », me dis-je. Dans la pente médiane, quelques minutes plus tard : encore plus moche et plus croûtée. On dirait qu’un éleveur de la vallée y a monté son tracteur, je ne sais comment (un pari pour épater son épouse, ses collègues ?), et a tout labouré méticuleusement. Pas un mètre de neige propre. « Ça s’arrangera plus haut », me dis-je. Plus haut, c’est plus raide, la croûte cassante laisse place à une surface bétonnée. Sur les pointes avant, grattonnant le calcaire sous-jacent, les pas en traversée au-dessus d’une barre rocheuse me font regretter l’absence d’un deuxième piolet dans la main gauche. « Tout va bien, me dis-je. C’est la voie normale de la Pointe Percée que je grimpe l’été en short et baskets de trail. »
Ascension par la voie Chauchefoin, qui correspond peu ou prou à la voie normale estivale de la Pointe Percée. |
Le passage serre-fesses est derrière moi. Je ne descendrai pas la voie Chauchefoin aujourd’hui, suivie jusqu’ici. Ni à ski ni crampons aux pieds. J’envisage un repli dans la voie Bibollet-Josserand, en rive gauche de la face ouest. La neige y semble moins délabrée. Je l’ai déjà skiée en février, avec la meute. Au moment où tout le monde savait que la Pointe Percée était gavée de neige. Le buzz a commencé sur Skitour, s’est propagé sur Instagram comme le variant indien : des gars skiaient la « PP » trois, quatre, cinq fois dans la journée. Conséquence : un méga cluster sur le plus haut sommet des Aravis. La montagne était toute pleine de Covid. Les autorités auraient dû prendre des mesures, déneiger les versants au napalm. Elles ont laissé faire. La troisième vague a submergé la France.
Je foule l’arête sommitale où deux traces de ski récentes se dirigent vers la voie sud-ouest, dite des « Cheminées de Sallanches ». Une belle ligne ouverte par Pierre Tardivel en 1986. Il est midi et demi, trop tard pour skier cet itinéraire chauffé au soleil toute la matinée. Trop tard ? Pas sûr, la température est fraîche à 2700 mètres, le vent intermittent et la danse des nuages ralentissent la cuisson des pentes orientées au sud. Pas de temps à perdre, je songe à skier tout de suite, sans visiter le sommet et sa croix. Sacrilège ! Un montagnard ne peut pas snober la cime de la Pointe Percée. Je laisse sac et skis sur l’antécime et parachève l’ascension, cheminant sur l’arête calcaire. C’est une croix de bois, fière, gravée, robuste, qui me reçoit là-haut. Une de ces croix authentiques qui indisposent les incultes, provoquent un mal aigu des montagnes, un œdème cérébral fulgurant chez les islamo-écolo-gauchistes grenoblois. Une légende locale du XIXe siècle raconte que des moines pécheurs ont fait pénitence en élevant une croix au faîte de la Pointe Percée, réputé inaccessible... Officiellement, la première ascension de cette montagne est attribuée à l’alpiniste Genevois Louis Maquelin, avec deux compagnons, en 1865.
La croix consubstantielle à la Pointe Percée. |
Neige de printemps. Glisse souple. Virages arrondis. Balcon naturel donnant sur la chaîne du Mont-Blanc dans son entier. La descente à ski des « Cheminées de Sallanches », avant de me constituer prisonnier, fut une réjouissance qui serait ennuyeuse à conter.
Dans la descente de la voie sud-ouest, chaque virage à gauche offre une vue panoramique sur la chaîne du Mont-Blanc. |
La voie dite des « Cheminées de Sallanches » (sud-ouest), skiée par Pierre Tardivel en 1986, est devenue une belle classique 35 ans plus tard. |
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