samedi 5 avril 2025

Calotte des Agneaux, face nord-ouest, diagonale rive gauche

La diagonale rive gauche dans la face nord-ouest des Agneaux.

Retour à la Calotte des Agneaux. L'objectif, cette fois-ci, était de skier le couloir Piaget ou la face nord-ouest directe. Les conditions de neige n'étaient pas optimales ce jour-là. Il restait de la poudre dans la partie large de la pente mais le couloir supérieur de la voie directe était en sale état. Le puissant soleil de la veille et le gel de la nuit ont pétrifié la neige et les traces existantes (croûte vitreuse). J'ai pu faire quelques beaux virages tout en haut de la face en rive gauche sur une pente de neige dure saupoudrée de fraîche ; ensuite 200 mètres de mauvais ski jusqu'à une sorte de collu qui m'a permis de basculer dans un couloir vierge, raide et tout poudreux (a priori correspondant à la voie "Les Ricains roux").

Le jour se lève sur le pic de Neige Cordier quand je commence l'ascension de la face nord-ouest des Agneaux.
La pente supérieure de la directe nord-ouest en mauvais état.
Glacier blanc.
Ma calotte au sommet de la Calotte !

D'humeur vagabonde après ce beau passage, je décide d'explorer la rive gauche de la face nord-ouest au lieu de plonger dans l'entonnoir du Piaget par lequel j'étais monté. Je compte trouver une hypothétique sortie alternative entraperçue sur certaines photos. Après une longue traversée assez poudreuse, fractionnée par quelques nervures ou fines goulottes gelées, je skie une large pente ombragée en neige fraîche qu'il me faut rapidement quitter car elle verse sur une falaise que je contourne par une croupe sur ma droite. Ici, je retrouve la croûte vitreuse honnie. Pire, il me faut passer un ressaut pour accéder au couloir de sortie. Désescalade ? Rappel ? Je reste sur les skis, dégaine le piolet (extrêmement utile pour une fois) et ça passe même si mes carres étaient à la limite de décrocher sur cette surface labourée et vitrifiée.

Dans ces conditions, la sortie classique et goulottée du couloir Piaget aurait été plus aisée. Cela dit, cette diagonale rive gauche vaut le détour et mériterait de figurer sur les topos de ski dédiés à cette majestueuse face nord-ouest de l'Agneau blanc.

La pente "suspendue" de la rive gauche.
Au-dessus du ressaut avant de sortir de la face.
Le ressaut passé en "piolet-ski" vu d'en bas.

dimanche 16 février 2025

Première trace dans la Grande Faille du Pécloz

Je l'avoue, je n'aurais pas été déçu de voir quelques traces de ski dans la face nord du Pécloz pour trouver l'entrée de la Grande Faille. Mais voilà, bizarre, personne n'y est allé ce week-end. Cette Grande Faille, je dois la chercher tout seul. Au lieu de terminer l'ascension sur l'arête ouest, j'improvise une traversée ascendante du versant nord qui me mène à ce qui pourrait être l'entrée de la ligne. Là, je ne vois rien de probant. Je me déleste de mon sac, descends 25 mètres et tout apparaît : la faille tapissée d'une neige intacte et sa rampe d'accès impeccable sur la gauche. Je remonte vers le sommet le cœur léger ; je vais enfin avoir ma chance dans la Grande Faille du Pécloz !

Face nord du Pécloz, je décide de la traverser pour repérer l'entrée de la faille.

J'ai trouvé la faille !

Arête sommitale du Pécloz.

J'ai quitté la rampe d'accès dès que j'ai pu pour entrer le plus haut possible dans la Grande Faille. Dix premiers virages très techniques, surtout ceux vers la droite où mes spatules ont gratté la glace vive saupoudrée de neige fraîche. En descendant, ça devient moins raide puis ça s'élargit dans la moitié inférieure. Conscient que je ne reviendrai pas de sitôt dans cette faille si singulière – vierge qui plus est – j'ai enquillé les virages comme un détraqué, jusqu'au bord de la crampe dans la jambe droite.

J'arrive à ski dans la Grande Faille.





Sortie de la faille. Faut remonter la combe à droite maintenant. Aïe !

La remontée à 2000 m et la descente en crampons de l'arête ouest – plus herbeuse et rocheuse que neigeuse – ont calmé momentanément mon enthousiasme. Avant que la fièvre du ski ne me reprenne sur la poudre soyeuse de la combe de Claret. Quelle journée ! C'était la fin pour moi d'un hiver bauju que je n'oublierai jamais, où j'ai pu revisiter le Trélod (couloir nord), l'Arcalod (face est) et découvrir la face nord de l'Arménaz ainsi que cette Grande Faille si « instagrammable » !

La face nord du Pécloz et sa Grande Faille vues du vallon d'Orgeval, une semaine avant ma descente.

dimanche 2 juin 2024

Grande Casse, couloir des Italiens

La plupart du temps, glace et rochers sont présents en haut du couloir des Italiens, comme ici en mai 2023.
Enneigement exceptionnel au printemps 2024, c'est le moment de tenter la descente à ski.
Deux fois par le passé, j’ai skié la face nord de la Grande Casse. La petite et la centrale. Lors de ces deux visites, j’ai observé longuement le couloir des Italiens, doutant de trouver un jour les conditions d’enneigement pour le descendre sans « bricoler ». C’est-à-dire sans déchausser, sans désescalader ou sans utiliser la corde.

« Les Italiens », on dit comme ça en Tarentaise. Une voie d’alpinisme de niveau D, la plus fameuse de toute la Vanoise, comportant des longueurs en glace dans le haut de la face. Au fait, qui sont-ils ces « Italiens » ? Luigi Binaghi et Aldo Bonacossa, les auteurs de la première ascension en août 1933 ; il faut les imaginer, crampons rudimentaires aux pieds, gravissant les 800 mètres de la face, au plus raide, avec une pioche chacun pour tailler des marches et se hisser vers le sommet.

dimanche 19 mai 2024

Col du Glacier Noir, matinée dans les montagnes hallucinées

Une heure et demie d'approche dans la nuit et voici l'aube blanche qui éclaire la Barre des Écrins, l'Ailefroide, le pic Sans Nom, le Pelvoux. Folie ! Je songe aux Montagnes hallucinées (At The Mountains Of Madness), le court roman de Lovecraft. Aucune photo, aucune vidéo, aucun billet de blog ne peut rendre compte de ce que j'ai vu là.
Je remonte le cours blanc du glacier Noir et aperçois à 7:00 un attroupement dans la pente d'accès au Coup de Sabre. Un concert de Taylor Swift ou une collective du CAF ?! Je compte sept, huit..., neuf skieurs alpinistes ! Je suppose que la plupart d'entre eux vont traverser côté sud en direction du refuge du Sélé. Possible, mais j'estime qu'il y a trop de monde pour envisager sereinement de skier le fameux couloir nord du Coup de Sabre.
Je poursuis jusqu'au pied du col du Glacier Noir, désert, vite rattrapé par Gildas, en meilleure forme que moi. Il va tracer la majeure partie du couloir nord sans même utiliser son piolet, posant ses bâtons à l'horizontale dans la pente pour équilibrer ses pas. Qu'il soit remercié pour son confortable escalier, il était si rapide que je n'ai pu le relayer que dans deux courtes sections. Un Guillestrin nous rejoindra au col et nous descendrons tranquillement le couloir – tellement enneigé que j'ai eu l'impression de skier une large face nord – sur des neiges variées mais jamais difficiles.
L'aube blanche.

samedi 13 avril 2024

Le glacier Long

Le glacier Long à l'Ailefroide s'élance sur 700 mètres de dénivelé.

L'Ailefroide, mystérieux géant des Écrins, pas tout à fait 4000 mètres. Un massif dans le massif. Orienté nord, un bras de glace entaille sa muraille occidentale ; il perce les remparts jusqu'à 3440 mètres. Le glacier Long. Quand sa glace bleu-noir se couvre de blanc au printemps – certains printemps , des skieurs alpinistes répondent à son invitation.

samedi 12 juin 2021

Aiguille Verte, couloir Couturier

 « Et au plus eslevé throne du monde, si ne sommes assis, que sus nostre cul »
Michel de Montaigne, Les Essais

Souvent, on entend la même chose à propos de la Verte. « Aucune voie pour en atteindre la cime n'est facile ; [...] À la Verte, on devient montagnard », selon les mots célèbres de Gaston Rébuffat. Pour autant, peut-on considérer aujourd'hui que gravir l'aiguille Verte par les couloirs Whymper ou Couturier correctement enneigés, avec un piolet dans chaque main, est difficile ? Je ne le crois pas. Déjà en 1973, dans ses 100 plus belles courses du massif du Mont-Blanc, Rébuffat écrivait : « On pourrait presque dire que pour aller au Couturier, il suffit de savoir bien cramponner, toutefois il ne faut y aller, bien sûr, que lorsque la neige est en bonnes conditions. » Ceci dit, descendre de cette montagne raide de tous côtés, en crampons, en rappel, à ski, en snowboard ou en parapente, n'est pas une partie de campagne même pour un alpiniste « chevronné », comme le répètent niaisement les médias parisiens. (A-t-on jamais vu Jean-Marc Boivin, Jean-Christophe Lafaille et Christophe Profit arborer le moindre chevron ?)

En rouge, le couloir Couturier skié le 12 juin 2021 avec un crochet en rive gauche pour éviter un rappel dans l'étranglement en glace. En bleu, le passage direct emprunté à la montée.

vendredi 28 mai 2021

La Calotte des Agneaux

« Jeunesse ! Jeunesse que tout cela ! »
Joseph Conrad, Jeunesse

Été 1994. Un été de Coupe du Monde. Les Bleus n'y étaient pas. Peu importe, Roberto Baggio, Hristo Stoichkov et Romario exprimaient le meilleur de leur art sur les pelouses américaines. Je m'en souviens, j'avais 12 ans. Les grandes vacances dans le Briançonnais au ciel bleu polarisé. Je suivais mon père en montagne. Un jour que nous montions en refuge, tout près de la petite cabane pastorale du col d'Arsine, je trébuchai. Le poids de mon sac à dos, le poids de mes crampons, de mon piolet que j'étais si fier de porter, ne me laissai aucune chance. Je m'étalai, la tête dans le sentier, le front percutant une pierre arrondie. Mon cousin me releva et dit « aïe ! là, c'est du sérieux ! », ou quelque chose comme ça. Mon visage en sang. Un trou au-dessus de l'arcade sourcilière droite. Sonné mais pas KO. Mon père déroula l'Elastoplast, me pansa du mieux qu'il put et me délesta de mon matériel d'alpinisme.
Pas de téléphone portable à l'époque. Décision fut prise de continuer jusqu'au refuge de l'Alpe de Villar-d'Arène, à moins d'une heure de marche. En chemin, nous rencontrâmes une cordée d'alpinistes qui descendait de la Calotte des Agneaux, la superbe pyramide blanche qui règne sur le vallon. On leur montra ma blessure. « Il faut quelques points de suture, dit le plus âgé. C'est à toi de voir, si tu ne te fais pas recoudre maintenant, tu auras une belle cicatrice. » Et l'alpiniste tourna la tête pour me montrer une balafre sur sa joue. Nous arrivâmes en plein déjeuner sur la terrasse ensoleillée du refuge de l'Alpe. Je me souviens des visages horrifiés, des moues écœurées des randonneurs apercevant mon front ouvert et sanglant. Un jeune pompier, qui se trouvait là, m'appliqua un pansement spécial pour recoller les deux lèvres de la plaie. Nous poursuivîmes jusqu'au refuge du Pavé. Le soir, fébrile, je me couchai sans rien avaler. Requinqué au réveil, je suivis sans peine mon père et mon cousin sur le beau rocher du pic nord des Cavales. Je fus recousu un jour plus tard à Briançon. Une radio du crâne confirma que j'avais la tête dure.
En direction du col d'Arsine. La Calotte des Agneaux, 3634 mètres, règne sur le vallon.

vendredi 23 avril 2021

La Pointe Percée, sans foi ni loi

« Un roi sans divertissement est un homme plein de misères »
Blaise Pascal, Pensées

En application de l’article 4 du décret n°2020-1310 prescrivant les mesures nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19, je me rends vendredi 23 avril de l'an 2021 dans un lieu de culte situé en Haute-Savoie, mon département. Parvenu devant le fronton de la chapelle de la Duche, sise au Grand-Bornand entre deux télésièges au chômage, je découvre qu'aucun office n'y est célébré aujourd'hui. Ni dans les semaines à venir. Aïe ! Comment justifier cette consommation de gazole ? Si sainte Greta-aux-Tresses l'apprend, sûr qu’elle invoquera Odin dans un tweet pour me barrer l'accès au Valhalla. Dépité, je m'en retourne à ma Clio et remarque mes skis, mes chaussures Dynafit, mon sac à dos stockés sur les sièges rabattus ; vestiges d'une saison de rando interrompue par les restrictions gouvernementales. Y a même un piolet, une petite corde et un baudrier où pendent quatre vieux coinceurs de fabrication ukrainienne. Cette petite quincaillerie, pour quoi faire ? Mon regard remonte la massive face ouest de la Pointe Percée, toute bleue dans l’ombre matinale.

Une heure et demie d’approche à peaux de phoque. Je mets les skis en travers du sac et chausse les crampons. La pente inférieure est moche et croûtée. « Ça s’arrangera plus haut », me dis-je. Dans la pente médiane, quelques minutes plus tard : encore plus moche et plus croûtée. On dirait qu’un éleveur de la vallée y a monté son tracteur, je ne sais comment (un pari pour épater son épouse, ses collègues ?), et a tout labouré méticuleusement. Pas un mètre de neige propre. « Ça s’arrangera plus haut », me dis-je. Plus haut, c’est plus raide, la croûte cassante laisse place à une surface bétonnée. Sur les pointes avant, grattonnant le calcaire sous-jacent, les pas en traversée au-dessus d’une barre rocheuse me font regretter l’absence d’un deuxième piolet dans la main gauche. « Tout va bien, me dis-je. C’est la voie normale de la Pointe Percée que je grimpe l’été en short et baskets de trail. »

Ascension par la voie Chauchefoin, qui correspond peu ou prou à la voie normale estivale de la Pointe Percée.