Fin de saison fracassante

Deux sessions dans la poudre au Plan de l’Aiguille et aux Grands-Montets, trois randos dans les Aravis. Et puis rideau. Ma saison de ski 2012 s’est achevée le 9 janvier à La Clusaz. Dans le couloir des Croix, en face nord de l’aiguille des Calvaires. J’avais eu le privilège d’y faire la première trace dans la matinée. Une belle diagonale avalée en quelques mouvements de bras et d’épaules avec du costaud aux pieds : 115 mm au patin, 32 mètres de rayon. Comme sur des rails. Facile. L'avalanche, c'était le risque. Rien n’a bougé.

L’esprit tranquille, j’y suis retourné l’après-midi après avoir écumé les itinéraires hors-piste classiques de la station. Il n’y avait qu’une trace supplémentaire. Dans la rampe finale, mes spatules ont tapé je ne sais quoi sous la poudre légère. J'ai rétabli immédiatement mon équilibre en chargeant mon ski aval. Mais ce traître s’est barré. Stupeur et plongeon inéluctable dans deux bandes rocheuses successives. Fracas. KO. Passé la sidération, je me suis senti indemne. Le crâne, les bras, les épaules, le dos, le torse… Tout bon ! Sans m'alarmer, j'ai remarqué que ma jambe gauche déviait franchement vers l’extérieur, à partir du genou. Désaxée, cassée.

Pas un rider à ce moment-là, dans cette combe épargnée par les remontées mécaniques. J’ai commencé à ramper en direction de mes gants, mon bonnet multicolore, mon masque. Quelques taches de sang coloraient ma pénible reptation. Moche à voir. La peur est montée de dix crans. Fini de jouer les Joe Simpson au Siula Grande. Dans ma poche, mon portable. Le 112. Avant l’arrivée des Supermen du PGHM d’Annecy, deux Samaritains ont répondu à mes appels au secours. Ces moniteurs de l’Ecole de ski internationale (ESI) de La Clusaz s’offraient une belle descente depuis la Porte des Aravis. Ils m'ont vu trembler, claquer des dents, m’ont enfilé des moufles, m’ont protégé avec leurs vestes à l’arrivée tonitruante de l’hélico.

Photos du secours signées Ludovic Sivignon, moniteur à l'Ecole de ski internationale (ESI) de La Clusaz.

Un gendarme et un médecin ont pris le relais. Aidés des moniteurs, ils m’ont placé dans un confortable brancard en plastique. Hélitreuillage. La toupie dans les airs puis le calme à bord de la machine. Fin de la rotation à l’hôpital d’Annecy. Les urgences. Quelques points de suture pour rafistoler la chair perforée entre mes lèvres et mon menton. Une infirmière concentrée. Traits et cheveux fins, pas de maquillage. Ses gestes précis. La morphine magique dans mes veines. Des prises de sang, des radios, un scanner…

Diagnostic : fracture complexe du plateau tibial. En clair, genou gauche explosé. Plus emmerdant qu'un couple tibia/péroné cassé, l’articulation a dégusté. « Votre cartilage est endommagé, m’a expliqué le chirurgien. Comme s’il avait été enfoncé à coups de marteau. Vous pourrez refaire tout ce que vous faisiez dans un an. Mais votre genou ne se comportera plus comme avant… » L’opération, sous anesthésie générale, a eu lieu le lendemain du crash. « 2h30 de chantier », dixit le maître d’œuvre. Une plaque et des vis seront retirées dans 18 mois.

Dix jours d'hospitalisation avant d'intégrer un centre de rééducation.

Je connaissais les règles. Celles du freeride en station sont moins radicales que les lois du ski de pente raide. Inutile de soutenir une thèse en Sorbonne sur les conséquences d’un même incident dans la face nord de l’aiguille du Midi. Pas excessive, la sanction. J’aurais pu m’éclater le crâne – pas de casque – ou me briser une vertèbre.

Adieu veaux, vaches, cochons, col du Varo, Whymper, Couturier… Mes objectifs cet hiver et ce printemps : retrouver une flexion normale du genou, marcher et conduire à nouveau pour reprendre mon travail en juin. La montagne ? Retour prévu aux calendes grecques. Mon genou gauche décidera. Ma période de rééducation devrait m’inspirer quelques billets, mais ce blog s’éteindra au fil des semaines. Je salue les internautes de Suisse, d’Italie, de Belgique, de France et d’Amérique du Nord, qui consultaient régulièrement ce site.

Remerciements

Adressés aux moniteurs de l’ESI de La Clusaz (Ludovic et son collègue), aux pisteurs de la station qui ont récupéré mon matériel, au pilote et mécanicien de la Sécurité civile, au PGHM d’Annecy, au médecin du Smur qui accompagnait les secouristes, à l’équipe des urgences de l’hôpital d’Annecy (CHRA), à mon chirurgien, aux infirmières et aide-soignantes du service orthopédique du CHRA. À ma mère et à mon père qui ne m’ont pas jugé à l’aune de cet accident.