samedi 24 mai 2025

Arêtes de la Meije, face nord, voie des Corridors

La voie des Corridors, en face nord des arêtes de la Meije, vue du col de Sarenne en septembre 2025.

« Aucune infos sur les conditions de neige dans la face nord de la Meije, je ne sais pas si les Corridors seront skiables, il n'y aura pas de sentier, pas de trace, il faudra probablement tremper les pieds pour franchir un torrent... » Voilà comment, par SMS, j'ai présenté l'affaire à Nicolas, rencontré deux semaines auparavant dans la face nord de Miage où nous avions allié nos forces pour sortir sur l'arête des dômes et skier toute la face. Nicolas m'a répondu par un pouce levé. Ce sera sa première sortie dans les Écrins.

Bain de pieds dans la Romanche.
Arche glaciaire au pied du glacier d'Armande.
Glacier de l'Homme.
Nicolas fait la trace.
Bise polaire sous le refuge de l'Aigle.
L'Aigle perché.

Parvenus à l'Aigle vendredi en fin d'après-midi sous la bise glaciale, nous voyons qu'une plaque imposante s'est déclenchée tout récemment au niveau d'une rimaye située entre la Meije orientale et le Doigt de Dieu. Le doute s'immisce dans nos consciences amadouées par le confort et la sécurité ressentis dans notre abri – dont la nouvelle structure que je découvrais est fidèle à l'esprit de l'ancien refuge légendaire que j'ai connu dans les années 2000 et 2010 (voir mon article sur la traversée des arêtes de la Meije en 2011).

La Meije.

Le lendemain, nous chaussons les skis pour descendre le Serret du Savon. Quelques bons virages dans la neige fraîche, puis vient la croûte gelée qui vire à la patinoire. Déchaussage et cramponnage au dessus du rétrécissement en bas du passage. La rimaye du couloir des Corridors est bien bouchée, à peine perceptible, nous la passons en peaux. En revanche, 300 mètres plus haut, la transition entre le couloir inférieur et la face nord des arêtes semble mal enneigée ; nous apercevons de la glace et des rochers. En montant, la perspective s'améliore. Nous traversons à droite sur une rampe poudreuse assez raide, entre la glace et les rochers, et grimpons un goulet très exposé d'une vingtaine de mètres parsemé de cailloux cachés sous la neige fraîche, et bordé par une accumulation de neige soufflée – qui sera purgée en partie par Nicolas à la descente. Après ce passage, j'ai compris que nous allions skier la face nord des arêtes de la Meije dans son intégralité. Forte émotion que je ne peux pas retranscrire par écrit.

Couloir inférieur de la voie des Corridors.

Nous accédons alors à une pente large inclinée à 50°, un autre goulet sans cailloux celui-ci, une traversée à main droite puis la pente sommitale en neige froide matée. Au sommet de la troisième dent de la Meije (trois derniers mètres rocheux, relais de rappel à découvert), le vent est sans pitié, ma pipette a gelé à l'intérieur du sac, onglée majeure en prenant quelques photos. Il faut décamper ! 

Nicolas sur la troisième dent des arêtes de la Meije pour sa première escapade dans les Écrins !
Grand Pic, 3983 m.
Doigt de Dieu, 3973 m.
Premier virage.

Descente superbe dans la neige froide puis la poudre, nous enchaînons les virages suspendus dans la face nord de la Meije, La Grave en point de mire 2500 mètres plus bas. Nous passons le goulet mal enneigé et piégeux prudemment – bonne neige mais cailloux masqués –, en escaliers surtout, avant de skier le couloir inférieur bordé de séracs massifs en limitant notre vitesse car le sluff grossit comme un mini torrent et nous pousse les talons.

Le goulet piégeux.
Belle poudre dans les Corridors !
C'est fini, on va remonter le Serret du Savon.

Mon partenaire Nicolas, bien plus entraîné que moi, a tracé l'intégralité du glacier de l'Homme vendredi pour que je parvienne au refuge de l'Aigle pas trop cuit. Le lendemain, j'ai pu le relayer à plusieurs reprises, mais il ne fait aucun doute que sans sa force et son endurance, je ne serais pas parvenu au sommet de la troisième dent. C'est lui aussi qui a tracé la remontée pénible du Serret du Savon sous une pluie de glaçons. Merci Nicolas, à un de ces jours dans les Aravis ou le Mont-Blanc ! Je pense que les Écrins sont faits pour toi.

samedi 10 mai 2025

Dômes de Miage, face nord

Face nord de Miage, 1000 mètres de dénivelé positif, inclinaison 45-50 degrés.
Ce n’est pas si souvent que je retourne skier dans le massif du Mont-Blanc, l’objet initial de ce blog. Il est loin le temps où j’amortissais mon forfait saisonnier Unlimited en collectionnant les grandes pentes du bassin d'Argentière, les couloirs du Tacul et les lignes freeride à l’Aiguille du Midi. Revenir dans ces secteurs desservis par des remontées mécaniques n’est pas ma priorité ; j’aspire à des descentes plus sauvages. Par exemple, la face nord des dômes de Miage, la formidable muraille de neige et de glace qui domine le val Montjoie.  

samedi 5 avril 2025

Calotte des Agneaux, face nord-ouest, diagonale rive gauche

La diagonale rive gauche dans la face nord-ouest des Agneaux.

Retour à la Calotte des Agneaux. L'objectif, cette fois-ci, était de skier le couloir Piaget ou la face nord-ouest directe. Les conditions de neige n'étaient pas optimales ce jour-là. Il restait de la poudre dans la partie large de la pente mais le couloir supérieur de la voie directe était en sale état. Le puissant soleil de la veille et le gel de la nuit ont pétrifié la neige et les traces existantes (croûte vitreuse). J'ai pu faire quelques beaux virages tout en haut de la face en rive gauche sur une pente de neige dure saupoudrée de fraîche ; ensuite 200 mètres de mauvais ski jusqu'à une sorte de collu qui m'a permis de basculer dans un couloir vierge, raide et tout poudreux (a priori correspondant à la voie "Les Ricains roux").

dimanche 16 février 2025

Première trace dans la Grande Faille du Pécloz

Je l'avoue, je n'aurais pas été déçu de voir quelques traces de ski dans la face nord du Pécloz pour trouver l'entrée de la Grande Faille. Mais voilà, bizarre, personne n'y est allé ce week-end. Cette Grande Faille, je dois la chercher tout seul. Au lieu de terminer l'ascension sur l'arête ouest, j'improvise une traversée ascendante du versant nord qui me mène à ce qui pourrait être l'entrée de la ligne. Là, je ne vois rien de probant. Je me déleste de mon sac, descends 25 mètres et tout apparaît : la faille tapissée d'une neige intacte et sa rampe d'accès impeccable sur la gauche. Je remonte vers le sommet le cœur léger ; je vais enfin avoir ma chance dans la Grande Faille du Pécloz !

Face nord du Pécloz, je décide de la traverser pour repérer l'entrée de la faille.

dimanche 2 juin 2024

Grande Casse, couloir des Italiens

La plupart du temps, glace et rochers sont présents en haut du couloir des Italiens, comme ici en mai 2023.
Enneigement exceptionnel au printemps 2024, c'est le moment de tenter la descente à ski.
Deux fois par le passé, j’ai skié la face nord de la Grande Casse. La petite et la centrale. Lors de ces deux visites, j’ai observé longuement le couloir des Italiens, doutant de trouver un jour les conditions d’enneigement pour le descendre sans « bricoler ». C’est-à-dire sans déchausser, sans désescalader ou sans utiliser la corde.

« Les Italiens », on dit comme ça en Tarentaise. Une voie d’alpinisme de niveau D, la plus fameuse de toute la Vanoise, comportant des longueurs en glace dans le haut de la face. Au fait, qui sont-ils ces « Italiens » ? Luigi Binaghi et Aldo Bonacossa, les auteurs de la première ascension en août 1933 ; il faut les imaginer, crampons rudimentaires aux pieds, gravissant les 800 mètres de la face, au plus raide, avec une pioche chacun pour tailler des marches et se hisser vers le sommet.

dimanche 19 mai 2024

Col du Glacier Noir, matinée dans les montagnes hallucinées

Une heure et demie d'approche dans la nuit et voici l'aube blanche qui éclaire la Barre des Écrins, l'Ailefroide, le pic Sans Nom, le Pelvoux. Folie ! Je songe aux Montagnes hallucinées (At The Mountains Of Madness), le court roman de Lovecraft. Aucune photo, aucune vidéo, aucun billet de blog ne peut rendre compte de ce que j'ai vu là.
Je remonte le cours blanc du glacier Noir et aperçois à 7:00 un attroupement dans la pente d'accès au Coup de Sabre. Un concert de Taylor Swift ou une collective du CAF ?! Je compte sept, huit..., neuf skieurs alpinistes ! Je suppose que la plupart d'entre eux vont traverser côté sud en direction du refuge du Sélé. Possible, mais j'estime qu'il y a trop de monde pour envisager sereinement de skier le fameux couloir nord du Coup de Sabre.
Je poursuis jusqu'au pied du col du Glacier Noir, désert, vite rattrapé par Gildas, en meilleure forme que moi. Il va tracer la majeure partie du couloir nord sans même utiliser son piolet, posant ses bâtons à l'horizontale dans la pente pour équilibrer ses pas. Qu'il soit remercié pour son confortable escalier, il était si rapide que je n'ai pu le relayer que dans deux courtes sections. Un Guillestrin nous rejoindra au col et nous descendrons tranquillement le couloir – tellement enneigé que j'ai eu l'impression de skier une large face nord – sur des neiges variées mais jamais difficiles.
L'aube blanche.

samedi 13 avril 2024

Le glacier Long

Le glacier Long à l'Ailefroide s'élance sur 700 mètres de dénivelé.

L'Ailefroide, mystérieux géant des Écrins, pas tout à fait 4000 mètres. Un massif dans le massif. Orienté nord, un bras de glace entaille sa muraille occidentale ; il perce les remparts jusqu'à 3440 mètres. Le glacier Long. Quand sa glace bleu-noir se couvre de blanc au printemps – certains printemps , des skieurs alpinistes répondent à son invitation.

samedi 12 juin 2021

Aiguille Verte, couloir Couturier

 « Et au plus eslevé throne du monde, si ne sommes assis, que sus nostre cul »
Michel de Montaigne, Les Essais

Souvent, on entend la même chose à propos de la Verte. « Aucune voie pour en atteindre la cime n'est facile ; [...] À la Verte, on devient montagnard », selon les mots célèbres de Gaston Rébuffat. Pour autant, peut-on considérer aujourd'hui que gravir l'aiguille Verte par les couloirs Whymper ou Couturier correctement enneigés, avec un piolet dans chaque main, est difficile ? Je ne le crois pas. Déjà en 1973, dans ses 100 plus belles courses du massif du Mont-Blanc, Rébuffat écrivait : « On pourrait presque dire que pour aller au Couturier, il suffit de savoir bien cramponner, toutefois il ne faut y aller, bien sûr, que lorsque la neige est en bonnes conditions. » Ceci dit, descendre de cette montagne raide de tous côtés, en crampons, en rappel, à ski, en snowboard ou en parapente, n'est pas une partie de campagne même pour un alpiniste « chevronné », comme le répètent niaisement les médias parisiens. (A-t-on jamais vu Jean-Marc Boivin, Jean-Christophe Lafaille et Christophe Profit arborer le moindre chevron ?)

En rouge, le couloir Couturier skié le 12 juin 2021 avec un crochet en rive gauche pour éviter un rappel dans l'étranglement en glace. En bleu, le passage direct emprunté à la montée.