mercredi 29 février 2012

John Harlin, le « Dieu blond »

John Harlin II (1935-1966). Photo DR
Capacité de concentration extrêmement limitée. Les jours qui ont suivi ma fracture et mon opération au genou, couché sur mon lit d’hôpital, abruti par la morphine et les antalgiques, lire plus de dix lignes m’était pénible. Même cet article de L’Express sur l’influence de la franc-maçonnerie dans la campagne présidentielle française, je n’en suis pas venu à bout. Plusieurs fois, j’ai ouvert et refermé Eiger obsession avant d’attraper le fil du récit. L’histoire de John Harlin III, l’auteur, qui a gravi la face nord de l'Eiger quarante ans après la mort de son père (John Harlin II) dans cette paroi mythique.
Ce livre, un cadeau de ma mère, je ne l'aurais pas acheté. Je pensais qu'il s'agissait d'un hommage convenu d’un fils à son père. Ça ne me concernait pas. C’était sous-estimer la plume de John Harlin III, rédacteur en chef de l’American Alpine Journal. Son Eiger obsession n’est pas à ranger parmi les chefs d’oeuvres de la littérature alpine, mais les premiers chapitres de l’ouvrage m’ont captivé. Pas si lisse, le portrait intime que l’auteur dresse de son charismatique paternel. Surnommé le « Dieu blond », on disait de lui qu’il « pouvait aspirer tout l’air d’une pièce ».
Jeune pilote de l'US Air Force 
Dans l’Amérique des années 1950, John Harlin II était un jeune pilote de l’US Air Force. A 20 ans, il prétendait avoir gravi la face nord du Cervin et travaillé pour la maison parisienne Balmain comme styliste au cours d’un voyage en Europe. Mensonges. « Mon père avait une foi absolue dans sa capacité à réaliser ses objectifs, écrit John Harlin III pour expliquer ces balivernes. L’échec n’était tout simplement pas envisageable, et encore moins acceptable. »
La suite du parcours de cet athlète à la gueule d’acteur, sensible à la beauté et aux arts, ne fut pas du pipeau. Jeune marié et père de deux enfants en bas âge - John III, l’aîné, et Andréa -, il fut affecté en Allemagne, au sein d'une base aérienne américaine. En cas de guerre déclarée avec le bloc soviétique, il avait pour mission d’atomiser Prague, ville qu’il trouvait magnifique. Sa devise : « Un pilote oui, un soldat non. » Moralement opposé à l’usage des armes nucléaires, il quitta l’US Air Force à l’issue de son contrat. Son épouse Marylin décrocha un poste de professeur de sciences à l’Ecole et l’Université américaines de Leysin, village suisse perché à 1200 mètres dans la région du lac Léman. Lui devint responsable des activités sportives au sein des mêmes établissements où étudiait, entre autres, le jeune Sylvester Stallone, pas encore star.
Grimpeur passionné, John Harlin II intégra le cercle des meilleurs alpinistes de son époque durant l’été 1963. Deux mois à vivre sous la tente à Chamonix, avec femme et enfants. Une saison couronnée par deux grandes premières d’extrême difficulté : la face sud du Fou (avec Tom Frost, Gary Hemming et Stewart Fulton) et le Pilier Dérobé du Frêney (avec Tom Frost). Deux ans plus tard, le « Dieu blond » réussit la directissime de la face ouest des Drus en compagnie de Royal Robbins, maître des « big walls » du Yosemite.
Obnubilé par la « Directissime » de l'Eigerwand
Plus que quiconque, parmi le gratin de l’alpinisme européen, John Harlin II était obnubilé par la face nord de l’Eiger. En 1962, il avait été le premier Américain vainqueur de cette paroi légendaire, par la « classique » voie Heckmair (1938). John Harlin II voulait gravir la ligne que tracerait une goutte d’eau qui perlerait du sommet de l’Ogre. La « Directe », dernier grand problème des Alpes dans les années 1960. Après plusieurs tentatives peu poussées - dont une avec René Desmaison - le « Dieu blond » lança l’assaut en février 1966. Ses partenaires : Layton Kor, talentueux rochassier venu du Colorado et Dougal Haston, un Ecossais expert en glace. Ils comptaient gravir la directissime en style alpin, en une dizaine de jours. Mais les tempêtes successives balayèrent ce plan. Les trois alpinistes se résolurent à placer des cordes fixes et à faire des allers-retours dans la voie. Une équipe concurrente, composée de huit grimpeurs allemands, faisait également le siège de la montagne afin d’y forcer la « Directe ». Surmédiatisée, hachée par les intempéries d’un hiver 1966 impitoyable, la course s’éternisa.
Le 22 mars, John Harlin II remontait au Jumar la corde fixe qui menait à l’Araignée, un névé situé dans le dernier tiers de la face nord. Usé prématurément au contact de rochers acérés, le fil de 7mm de diamètre céda, précipitant le montagnard américain dans le vide. Une chute de 1200 mètres. Mort du « Dieu blond » dans sa trentième année. « Il se dégageait une beauté à la fois étrange et terrible de la juxtaposition des membres tordus de cet homme, qui avait voué sa vie à l’escalade. Une image qui aurait dit tout ce qui pouvait être dit sur la face nord de l’Eiger », témoigna l’alpiniste et photographe britannique Chris Bonington, qui découvrit le corps de son ami au pied de la paroi. Il ne prit aucun cliché. Les obsèques de John Harlin II furent célébrées 72 heures après le drame, à Leysin. Ce jour-là, les deux équipes engagées dans l’Eigerwand, rivalité oubliée, achevaient ensemble l’ascension de la « Directissime ». La voie John Harlin.
Source : Eiger obsession, John Harlin III, Editions Guérin, Chamonix, 2009. L'auteur a mis en ligne sur son site (www.johnharlin.netde nombreuses photos où figure son père.

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